La crise sanitaire que traverse notre société actuellement est d’une ampleur inédite. Les mesures prisent pour endiguer la pandémie bouleversent le quotidien de tout un chacun : fermeture des écoles, diminution de la masse de travail dans de nombreux domaines, réduction de l’horaire de travail… Dans ce contexte, nous examinons trois questions choisies sur les droits des travailleurs qui sont parents d’enfants.

  1. Un parent peut-il refuser de se rendre sur son lieu de travail par crainte de contaminer son enfant qui présente une santé vulnérable ?

Les mesures imposées par le Conseil fédéral dans l’Ordonnance 2 sur les mesures destinées à lutter contre le coronavirus du 13 mars 2020 ont notamment pour but de protéger les personnes vulnérables, à savoir les personnes de plus de 65 ans, ainsi que celles souffrant notamment d’hypertension artérielle, de diabète, de maladies cardiovasculaires, de maladies respiratoires chroniques, de faiblesse immunitaire due à une maladie ou à une thérapie et d’un cancer. Ces personnes sont appelées à rester chez elle et à prendre des précautions particulières en matière d’hygiène et d’éloignement social si elles sont amenées à quitter leur domicile.

En ce qui concerne les employés vulnérables, l’employeur doit protéger leur santé en leur permettant de remplir leurs obligations professionnelles depuis leur domicile et doit, à cette fin, prendre les mesures organisationnelles qui s’imposent.

Si l’employeur a suffisamment de travail, mais que les activités ne peuvent être accomplies qu’au lieu de travail, ou lorsque l’employeur ne peut pas prendre les mesures organisationnelles et techniques permettant le travail à domicile, sans qu’il ne soit en mesure de garantir le respect des recommandations de la Confédération en matière d’hygiène et d’éloignement social sur le lieu de travail, les personnes vulnérables au sens de l’Ordonnance 2 sur les mesures destinées à lutter contre le coronavirus peuvent bénéficier d’un droit au congé avec maintien de salaire.

Toutefois, le fait que l’employeur n’ait pas pris les mesures organisationnelles et techniques à même de garantir le respect des recommandations de la Confédération en matière d’hygiène et d’éloignement social justifie un refus de travailler pour tous les employés, qu’ils soient vulnérables ou non. En effet, l’employeur est tenu de protéger la vie, la santé et l’intégrité personnelle du travailleur (art. 328 CO et 6 LTr)[1]. L’employé qui refuse de venir travailler en raison du fait que les recommandations de la Confédération ne sont pas respectées, doit mettre en demeure son employeur de remédier à la situation. Le licenciement ordinaire notifié dans ces circonstances par l’employeur sera considéré comme abusif (art. 336 al. 1 let. d CO) et un licenciement immédiat sera considéré comme injustifié (art. 337c CO).

En revanche, si les règles précitées sont respectées et que l’employé n’est pas une personne vulnérable au sens de l’Ordonnance 2 sur les mesures destinées à lutter contre le coronavirus, celui-ci ne peut pas refuser sa prestation de travail par crainte d’être contaminé ou de contaminer l’un de ses proches[2]. Le licenciement ordinaire qui lui est notifié ne serait pas considéré comme abusif et l’employeur aurait même la possibilité de le licencier avec effet immédiat s’il ne se présente pas à son poste après avoir été mis en demeure de reprendre immédiatement son travail[3]. Ce refus du travailleur serait considéré comme illégitime et constitue un juste motif de licenciement[4].

On relèvera par conséquent que seule la personne qui présente objectivement les caractéristiques d’une personne vulnérable peut bénéficier de mesures de protection, de sorte qu’un parent ne saurait refuser de se rendre sur son lieu de travail uniquement par crainte de mettre indirectement en danger son enfant qui présente les caractéristiques d’une personne vulnérable[5]. Toutefois, si l’employeur ne respecte pas les règle d’hygiène et de distanciation sociale préconisées par le Conseil fédéral malgré une mise en demeure de la part de son travailleur, celui-ci est en droit de refuser de se rendre sur son lieu de travail.

  1. Sous quelles conditions un parent qui ne dispose pas de solution de garde pour son enfant peut-il bénéficier de l’allocation pertes de gain en lien avec le coronavirus ?

Le Conseil fédéral a édicté une Ordonnance sur les mesures en cas de pertes de gain en lien avec le coronavirus le 20 mars 2020. Il en découle qu’ont droit à l’allocation, les parents d’enfants jusqu’à l’âge de 12 ans révolus, les parents d’enfants mineurs ayant droit à un supplément pour soins intenses au sens de la loi sur l’assurance invalidité, les parents d’enfants jusqu’à l’âge de 20 ans révolus qui fréquentent une école spéciale et d’autres personnes. Pour pouvoir bénéficier de l’allocation ces personnes doivent encore remplir trois conditions :

  1. Elles doivent, en raison de mesures ordonnées par une autorité sur la base de la loi sur les épidémies, interrompre leur activité lucrative parce que la garde de leurs enfants par des tiers n’est plus assurée, ou parce qu’elles ont été mises en quarantaine;
  2. Elles doivent être salariée (à savoir fournir un travail dépendant et recevoir pour ce travail un salaire déterminant au sens des lois spéciales) au moment de l’interruption de leur activité lucrative ou exercer une activité lucrative indépendante ;
  3. Elles doivent être assurées obligatoirement au sens de la loi fédérale du 20 décembre 1946 sur l’assurance-vieillesse et survivants (LAVS).

Pour les parents qui doivent interrompre leur activité lucrative pour garder leur enfant, le droit à l’allocation n’est pas octroyé durant les vacances scolaires, sauf si l’enfant aurait dû être gardé par une personne vulnérable au sens de l’Ordonnance 2 sur les mesures destinées à lutter contre le coronavirus ou si une offre d’accueil était proposée par l’école.

En ce qui concerne la garde des enfants par des tiers, il peut s’agir d’écoles maternelles, de structures d’accueil collectif de jour, d’écoles, d’institutions au sens de l’art. 27 LAI ou de particuliers assumant des tâches de garde si ceux-ci sont des personnes vulnérables au sens de l’Ordonnance 2 sur les mesures destinées à lutter contre le coronavirus.

Les deux parents peuvent prétendre à l’allocation si la garde des enfants par un tiers n’est plus assurée. Toutefois, ils ne peuvent faire valoir qu’une seule indemnité journalière par jour de travail. Pour les personnes assumant des tâches de garde, le droit à l’allocation prend effet le quatrième jour suivant celui où les conditions mentionnées ci-dessus sont remplies. Le droit à l’allocation prend fin lorsque les mesures prises par les autorités sont levées. Il incombe aux ayants droit de faire valoir leur droit à l’allocation. Si l’employeur continue de verser le salaire, il peut faire valoir le droit à l’allocation.

Par conséquent, le travailleur qui ne dispose pas de solution de garde pour son enfant de moins de 12 ans en raison du coronavirus – par exemple en raison de la fermeture des écoles ou parce que c’est en principe les grands-parents ou tout autre tiers qui est considéré comme vulnérable qui s’occupent des enfants – et qui doit pour cette raison interrompre son activité professionnelle, pourra prétendre à une indemnisation fondée sur la base du régime des allocations pour pertes de gain et versées sous forme d’indemnités journalières. Celles-ci correspondent à 80 % du salaire et sont plafonnées à 196 francs par jour.

  1. L’employeur peut-il refuser que son employé soit mis au bénéfice de l’allocation pertes de gain et le mettre en demeure de se présenter à son poste de travail sous peine de résiliation du contrat de travail pour abandon d’emploi ?

Il y a abandon d’emploi lorsque le travailleur quitte son poste abruptement sans justes motifs ou qu’il résilie le contrat avec effet immédiat sans justes motifs (art. 337d CO). Il faut donc qu’il apparaisse clairement que la décision du travailleur est définitive[6]. Selon la jurisprudence, une absence injustifiée du travailleur de courte durée ne peut être considérée comme un abandon d’emploi par l’employeur : ce dernier peut toutefois lui reprocher d’avoir adopter un comportement qui justifie une résiliation immédiate des rapports de travail, au besoin après une mise en demeure de reprendre le travail[7]. Enfin, dans des situations intermédiaires, la qualification d’abandon de poste doit être examinée en application du principe de la confiance, à la lumière des circonstances du cas particuliers[8].

L’abandon d’emploi implique la résiliation avec effet immédiat du contrat de travail[9]. L’employeur peut dans ces conditions prétendre à une réparation correspondant au quart du salaire mensuel de l’employé. En revanche, si les conditions de l’art. 337d CO ne sont pas réunies et que l’employeur considère à tort que le travailleur a abandonné son poste, en refusant la reprise du travail par l’employé, il est considéré que c’est l’employeur qui a licencié avec effet immédiat le travailleur[10].

En droit suisse, on rappellera que l’employeur peut résilier immédiatement le contrat en tout temps uniquement s’il existe de justes motifs, notamment des circonstances qui, selon les règles de la bonne foi, ne permettent pas d’exiger la continuation des rapports de travail (art. 337 CO). La notion de justes motifs est une notion de droit examinée librement par le juge, qui doit prendre en considération tous les éléments du cas particulier, dont la position et la responsabilité du travailleur, la nature et la durée des rapports contractuels, ainsi que la nature et l’importance des manquements[11]. Les faits doivent être si graves qu’ils ont pour effet de rompre irrémédiablement le rapport de confiance nécessaire ; seul un manquement particulièrement grave du travailleur autorise une résiliation immédiate[12]. Par conséquent, le congé immédiat sera considéré comme injustifié en cas d’absence de justes motifs et/ou de réaction tardive. Malgré le fait qu’elle soit injustifiée, la résiliation est toutefois valable et produit des effets immédiats[13]. Le travailleur licencié de manière immédiate injustifiée a cependant droit à des dommages-intérêts correspondants à ce qu’il aurait gagné si les rapports de travail avaient pris fin à l’échéance du délai de congé usuel (art. 337c al. 1 CO), sous réserve d’imputations éventuelles (art. 337c al. 2 CO), ainsi qu’à une indemnité dont le juge fixera librement le montant, compte tenu de toutes les circonstances, mais qui ne dépassera pas six mois de salaire du travailleur licencié (art. 337c al. 3 CO).

Selon l’art. 276 CC, tout parent a l’obligation légale de s’occuper de ses enfants, notamment malades ou qui ne peuvent pas être gardés par quelqu’un d’autre. Comme indiqué ci-dessus, au vu de la situation exceptionnelle que nous vivons actuellement, les personnes qui ne sont raisonnablement pas en mesure de faire garder leurs enfants par l’un des parents, par des proches ou des tiers sont libérées de l’obligation de travailler. Le Conseil fédéral a d’ailleurs spécifiquement mis en place une indemnisation sous forme d’allocations pour pertes de gain en lien avec le coronavirus pour les parents qui se trouvent dans cette situation.

Au vu des circonstances particulières, lorsqu’un travailleur peut objectivement prétendre à l’allocation pertes de gain en lien avec le coronavirus et qu’il indique à son employeur les raisons pour lesquelles il n’est pas en mesure d’effectuer son travail – par exemple lorsque le tiers en charge des enfants est une personne vulnérable – l’employeur ne peut pas, à notre sens, partir du principe que son employé formule un refus conscient, intentionnel et définitif de poursuivre l’exécution du travail confié, constituant un abandon de poste.

Pour savoir quel parent pourra bénéficier des allocations pour pertes de gain, il convient à notre sens de réaliser une pesée des intérêts en fonction des responsabilités de chacun dans le cadre de son emploi ainsi que du taux d’occupation et de l’impact du coronavirus sur l’exercice de la profession de chaque parent. Par conséquent, lorsqu’un des parents occupe un poste à haute responsabilité à plein temps, dont l’activité est accrue en raison du coronavirus, et que l’autre parent est occupé à taux réduit ou qu’il est employé dans un secteur dont l’activité est limitée en raison des mesures édictées pour endiguer l’épidémie de COVID-19, il paraît opportun que ce soit le second parent qui soit mis au bénéfice d’allocations pertes de gain.

Au vu de ce qui précède, un travailleur est fondé à requérir d’être mis au bénéfice de l’allocation de pertes de gain en lien avec le coronavirus lorsqu’il remplit les conditions d’allocation pertes de gain en lien avec le coronavirus. Un licenciement immédiat pour abandon de poste serait dans ces circonstances manifestement injustifié, puisque, à notre sens, il n’existe pas de justes motifs. Le licenciement prendra effet, mais le travailleur aura toutefois droit à des dommages-intérêts correspondants à ce qu’il aurait gagné si les rapports de travail avaient pris fin à l’échéance du délai de congé (art. 337c al. 1 CO), sous réserve d’imputations éventuelles (art. 337c al. 2 CO), ainsi qu’à une indemnité dont le juge fixera librement le montant, compte tenu de toutes les circonstances, mais qui ne dépassera pas six mois de salaire (art. 337c al. 3 CO).

On relèvera à toutes fins utiles que l’employeur qui refuse de mettre son employé au bénéfice de l’assurance pertes de gain viole son obligation de collaborer à la mise en œuvre de l’exécution des assurances sociales. En effet, en raison de son obligation de diligence, l’employeur doit accomplir les actes nécessaires à la préservation des intérêts de ses employés[14]. La violation de ce devoir engage la responsabilité contractuelle de l’employeur (art. 97 CO). Il en découle que l’employeur est tenu de réparer le dommage qu’il cause à l’employé lorsqu’il manque à son devoir d’annoncer en temps utile à l’assureur social les circonstances justifiant l’allocation d’indemnités, comme en l’espèce le droit à l’allocation pertes de gain en lien avec le coronavirus[15].

[1] Dunand / Wyler, Quelques implications du coronavirus en droit suisse du travail, p. 31.

[2] Dunand / Wyler, Quelques implications du coronavirus en droit suisse du travail, p. 31.

[3] Ibidem.

[4] Ibidem.

[5] Dunand / Wyler, Quelques implications du coronavirus en droit suisse du travail, p. 12.

[6] Wyler/Heinzer, Droit du travail, p. 612.

[7] ATF 108 II 301, c. 3n, JdT 1983 I 31.

[8] Aubert, CO-CR, n° 2, ad art. 337d.

[9] Wyler/Heinzer, Droit du travail, p. 612.

[10] Idem, p. 586.

[11] ATF 108 II 444 ; ATF 127 III 153.

[12] ATF 112 II 41.

[13] Dunand /Wyler, Quelques implications du coronavirus en droit suisse du travail, p. 29.

[14] Dunand / Wyler, Quelques implications du coronavirus en droit suisse du travail, p. 6.

[15] Ibidem.